Quand je rencontre une personne pour la première fois, je sais à qui j’ai affaire dès le premier coup d’oeil. Et toi, toi, je t’ai transpercé comme si tu étais une motte de beurre mou et moi un couteau plongé dans la flamme d’une bougie. Un autre. Ne te vexe pas, mais j’ai rarement vu un jeune de ton âge dégager autant de mollesse. C’est insupportable et fascinant. Approche. Tu n’as jamais pensé à utiliser ton squelette pour redresser ton corps, lui offrir un peu de dignité ? Un autre. Je sais ce que tu es en train de te dire. Je capte les pensées qui grésillent dans les plis crasseux de ta cervelle. J’entends les mots que tu vocifères dans le noir mouillé de ta bouche.
– Roy
Réflexion mordante et insidieuse sur la compassion, Grande écoute de Larry Tremblay entre dans l’univers d’un professionnel de la télé. Roy, un journaliste-animateur, présente aux téléspectateurs des tête-à-tête, sortes de rencontres intimes avec des gens prêts à partager leur vécu, leurs désirs et leurs névroses. Habile interviewer, à la fois sincère et manipulateur, il se permet de s’immiscer dans la vie privée de ses invités afin d’en tirer des témoignages poignants, percutants ou tout à fait dérisoires. Mais que ce cache-t-il derrière ce mur télévisuel ?
« Un talk-show est grosso modo une émission de télévision basée sur une conversation entre un animateur et un invité. Une pièce de théâtre est grosso modo un spectacle basé sur un dialogue entre des personnages. Grande écoute est une pièce de théâtre sur le talk-show. Une conversation n’est pas nécessairement un dialogue. Un dialogue peut se cacher derrière les mots d’une conversation. Une conversation fait passer le temps entre deux personnes. Tout ou rien nourrit une conversation, l’anime, l’anéantit. Un dialogue met en jeu l’être. Une conversation met en jeu l’égo. Dans un talk-show, il y a un talk et un show. Le show l’emporte. Dans un dialogue au théâtre, il y a un gagnant, un perdant. Chaque mot compte. À la télévision, le silence n’a pas sa place. On le tue dès qu’il se pointe. On regarde un talk-show. On ne l’écoute pas. On regarde un show, on n’écoute pas un talk. C’est un show talk mais on dit tout de même un talk-show. Façon de parler. Au théâtre, on écoute avec les yeux. On regarde avec les oreilles. Autre façon de parler. Une conversation peut dissimuler un monologue intérieur. Ça parle dans ta tête. Dans la tienne alors que l’autre te parle. Dans la sienne alors que tu lui parles. Un dialogue peut dissimuler une conversation. Ça déparle dans ta tête. Les mots se bousculent, se gonflent de sang, de neurones. Ça bouillonne. Ça fait mal. Et le silence devient l’horizon espéré, le paysage de calme espéré. À la télé, ça parle sans bon sens. Et ça déparle dans tes yeux. Ça jase. Ça cache forcément quelque chose. Parle-moi de toi. Comment vas-tu? Qui es-tu? Et qui suis-je pour te le demander? Ce soir, je te reçois dans mes lumières, dans mes fauteuils, dans ma sueur, dans le fantôme de mon parfum. Ce soir, j’invite ton univers. Je m’appelle Roy. Et ça se prononce comme tu veux. Je ne suis pas l’auteur. Je suis l’animateur.
– Larry Tremblay
Écrivain, metteur en scène, acteur et spécialiste de kathakali, danse-théâtre qu’il a étudiée lors de nombreux voyages en Inde, il a publié une vingtaine de livres comme auteur dramatique, poète, romancier et essayiste. Grâce à une suite ininterrompue de pièces (Leçon d’anatomie, Ogre, The Dragonfly of Chicoutimi, Le Génie de la rue Drolet, Les mains bleues, Téléroman, Cornemuse, Le Ventriloque, Panda panda, L’Histoire d’un coeur), son oeuvre est aujourd’hui reconnue au Québec et à l’échelle internationale. Ses pièces ont ainsi été traduites dans une dizaine de langues et ont été produites dans de nombreux pays. L’écriture de Larry Tremblay nous transporte dans des univers aux multiples significations. Son oeuvre se distingue par la diversité des genres qu’il exploite. Son travail a été maintes fois récompensé. Salué unanimement par la critique, le roman Le Mangeur de bicyclette, publié chez Leméac (2002), a été finaliste au Prix du Gouverneur général du Canada l’année suivante. En 2003, la production montréalaise de la pièce Le Ventriloque, dans une mise en scène de Claude Poissant, récoltait six nominations à la Soirée des Masques, dont celle du texte original, et remportait le Masque de la production Montréal. Larry Tremblay a reçu en 2006 le Prix Victor-Martyn-Lynch-Staunton, attribué par le Conseil des arts du Canada, pour l’ensemble de son théâtre. En 2014, il a été récipiendaire du Prix des libraires du Québec pour son roman L’Orangeraie, en plus d’être finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général du Canada. Larry Tremblay a été professeur à l’École supérieure de théâtre de l’Université du Québec à Montréal où il a enseigné le jeu et l’écriture dramatique. L’identité multiple fait depuis toujours partie de l’oeuvre de Tremblay. Elle la constitue.
La complicité entre ces deux artistes s’est installée il y a déjà plus de vingt ans, alors que Claude Poissant s’était promis de ne jamais perdre la trace de Larry Tremblay, après la lecture de ses textes qu’il avait présentée au Festival des francophonies en Limousin. Huit ans plus tard, Claude Poissant met en scène Le Ventriloque qui lui vaudra le masque de la production « Montréal » pour la saison 2001-2002. Il renoue l’expérience en consacrant la saison 2010-2011 au dramaturge émérite avec Abraham Lincoln va au théâtre et The Dragonfly of Chicoutimi qui sera repris au printemps 2014. L’écriture de Larry Tremblay, auteur dramatique, poète, romancier et essayiste, nous transporte dans des univers aux multiples significations et révèle une certaine obsession créatrice pour la notion de l’identité. Fier défenseur et défricheur de paroles fortes, Claude Poissant confie que « l’oeuvre de Larry Tremblay est en suspension dans les profondeurs ; les pieds ne touchent jamais au fond de la mer ».
Denis Bernard
Alexandre Bergeron
Macha Limonchik
Jean-Philippe Perras
Sylvie de Morais
Victoria Diamond
Sébastien Dodge
Assistance à la mise en scène et régie
Jérémie Boucher
Scénographie
Geneviève Lizotte
Costumes
Marc Senécal
Coiffures et maquillages
Florence Cornet
Éclairages
Erwann Bernard
Musique
Nicolas Basque
Conception des accessoires spéciaux
Olivier Proulx
Conception vidéo
Studio 301 et Silent Partners Studio
Coupeuse et couturière
Julie Sauriol
Coach de boxe
Wassim Fakhri
Direction technique
Victor Lamontagne
Directrice de production
Catherine Desjardins-Jolin
«Le texte de Larry Tremblay est d’un cynisme noir de noir. L’auteur de L’orangeraie, formidable roman paru en 2013, observe avec le même regard dénué de complaisance la télévision, la célébrité et le couple, où les vraies choses se disent, à l’abri des caméras. Où les fleurs que l’on offre à dessein, pour amadouer et arriver à ses fins, ne sont pas accueillies avec la même hypocrisie convenue que sur un plateau de télévision. »
« Grande écoute, de Larry Tremblay, nous entraîne avec cynisme et irrévérence dans cet univers tordu, provoquant à la fois rires et malaises. »
« La cible semble aussi évidente qu’elle est bien atteinte. Dans ce rôle qui met en valeur à la fois sa puissance et sa vulnérabilité, l’excellent Denis Bernard joue la complicité forcée avec le public, durant la portion talk-show. »
« Avec Grande écoute, Larry Tremblay met en opposition l’échange conversationnel du talk-show et l’échange dialogique du théâtre pour proposer une critique lucide et éclairante de la société québécoise contemporaine. »
« La force de ce texte ne tient ni dans sa construction, ni dans les situations, somme toute assez banales pour ne pas dire clichés, mais dans sa capacité è nous faire honte des émotions qu’il nous fait ressentir. »
« Un texte extraordinaire, une formidable mise en scène de Claude Poissant et des interprètes fort convaincants. Un très bon spectacle. »